Muriel Reed - Muriel chez... les aristocrates, les députés, Ionesco...



à Muriel Reed

et contre les Parichiens Lacaniens
qui ont envoyé tant de gens au suicide




Muriel chez les aristocrates


ce qui est agréable en Anjou
c'est que la région est habitée
il veut dire par là 
qu'on y trouve encore beaucoup de gens de son monde
avec lesquels il peut voisiner


les nobles se réunissent dans l'enclos réservé aux propirétaires des chevaux.
Rien ne défend les abords de cet enclos mais il est sacré,
et jamais un fermier ne s'y aventure.


- il ferait beau voir qu'ils ne soient pas polis
   ce genre de phrase, qui sent son fouet ou son martinet
   me fait toujours un peu frémir, moi Américaine.
   ...en Floride, j'ai vu une mère hésiter à punir ses fils
   qui avaient poussé leur professeur dans un marais plein d'alligators...



- il est inutile et ridicule que tu baises la main d'une épicière
Ces propos me parurent très choquants
...je méditais une réponse démocratique...


j'aime travailler, mais nous devons payer des commis pour nous aider.
Il n'est pas question que nous cessions d'être des gens civilisés
qui sortent, qui chassent, qui se voient entre eux.


les châtelains se plaisent à reconnaitre que dans l'ensemble
les paysans sont de " braves gens " qui ont " bon esprit "
et ne leur font jamais tort d'un sou.

Ce qui m'agace un peu, c'est leur façon de traiter leurs fermiers
comme des enfants et de les tutoyer.

les châtelains sont atteints de cette même bougeotte
et ont cet instinct grégaire 
qui les pousse à se rassembler les uns chez les autres
...j'ai l'impression de voir une petite bande de rescapés
ou une secte dont les membres ont besoin de se réunir
pour garder intacte leur foi


Le curé est un jeune prêtre récemment nommé dans la paroisse...
De temps à autre, il fait des sermons délibérément " anti noblesse "
La veille, empoignant le rebord de sa chaire
et foudroyant du regard les occupants du " banc du château "
il avait fulminé contre ce sport barbare, ce plaisir des riches oisifs : 
la chasse à courre
Et tandis que mon oncle, rouge comme une tomate, frisait l'apoplexie,
il avait ajouté : A la noblesse française, je dis
tout ce dont vous avez hérité, vos terres, vos châteaux,
vous le devez à la France.
Votre temps n'est pas à vous.
Votre argent n'est pas à vous.


J'appris avec surprise que plusieurs membres du jeune clergé
avaient à coeur d'expliquer à leurs paroissiens 
qu'ils n'étaient pas inféodés aux châtelains.


Nos parents ont tous racheté l'école libre de leur paroisse
et depuis nous nous faisons un devoir de l'entretenir.
La sienne coûte 900 000 francs légers par an.
L'Etat me donne 150 000 francs légers
et je trouve le reste...



Moi j'ai fait élire maire un de mes fermiers
Quand il a un pépin sérieux
je lui dit ce qu'il doit faire
Le maire suit mes conseils
fait les corvées
et tout marche bien


on dit vous aux bébés
Ainsi ceux-ci prennent l'habitude de parler à leurs parents
à la deuxième personne du pluriel.
Quand les enfants ont atteint quatre ou cinq ans
on peut commencer à les tutoyer


les aristocrates m'apparassaient comme un extraordinaire mélange
de fortes vertus et de grandes faiblesses :
fervents chrétiens mais délibérément snobs
courageux insensibles au prestige de l'argent
vraiment probes, vraiment animés du sens du devoir
et en même temps bourrés d'étranges manies,
cancaniers et médisants


Muriel chez les députés


Ce que j'ai vu, ce sont les dessous de ce que le public français avec mépris,
leurs élus avec des soupirs d'impuissance, appelaient " le système "
Ce système était extrêmement intéressant en ceci
qu'il obligeait souvent, pour des raisons hautement morales,
un député à voter contre ses convictions morales.


ils avaient combiné leur histoire à l'avance
Le ministre savait ce que le député allait lui dire.
Encore des combines


des orateurs débitaient de larges tranches de ces grandes vérités
qu'on nomme truismes


Nous sommes dans l'ère des techniciens et des spécialistes.
Le député qui s'astreindrait à assister à toutes les séances 
au lieu d'étudier à fond une ou deux questions seulement
serait un touche à tout et un paresseux

- je passe trois ou quatre jours dans ma circonscription
   sinon on n'est pas réélu
- même si vous leur prouvez qu'à Paris vous travaillez énormément
   et que vous prenez soin de leurs intérêts ?
- ils diraient : on n'en sait rien de ce qu'il fait
   tout ce qu'on sait, c'est qu'on l'a point vu
   En fait j'ai vu des députés fainéants 
   qui passaient le plus clair de leur temps à taper la carte
   ou à trinquer avec les électeurs, se faire régulièrement réélire
   On disait d'eux : c'est un bien brave homme, pas fier et bien causant.


Mon cher... voyez... nous avons adouci...
à votre tour, faites quelques concessions
soyez notre avocat

quoique nous fassions pour être amis avec chaque député
tôt ou tard, on lèse les intérêts de quelqu'un.
On sent la froideur, les peaux de banane,
on sent qu'il veulent la crise..

Quand un ministère dure six mois,
nous avons tous tendance à dire : 
Mais ma parole, il essaye de s'accrocher.


si je leur sers un discours solide, plein de statistiques,
tous mes adversaires se font un devoir de venir me féliciter 
mais ce sont des politesses d'hommes du monde
cela n'affecte pas leurs votes
tout se passe en transactions

je vote contrairerement à mes convictions
en échange de mesures ou de votes favorables
à mes fabricants de boutons de porte


- être ministre c'est s'élever enfin au dessus des petits problèmes.
   C'est pouvoir enfin agir directement en grand.
- Hum ! Je l'ai cru.
   Mais souvent quand je prenais une décision,
   mes fonctionnaires me disaient : Oh ! monsieur le Ministre,
   l'administration est plutôt opposée à ce genre de mesure.
   - Qui est-ce qui commande ici ? leur disais-je
   - Oh ! vous, bien sûr, monsieur le Ministre !
   Mais je les voyais qui me regardaient en coin
   et je sentais qu'ils se disaient  : Cause toujours, mon joli,
   dans trois mois tu ne seras plus ici
   Non c'est le système tout entier...


le Gouvernement Gaillard allait-il endosser
le fait d'armes de Sakhiet


la séance fut spectaculaire : nous eûmes droit à une série de vedettes : 
Duclos, Pierre Cot, Naudet, Pineau, Teitgen, Montel, Jean-Marie Le Pen
et par raccroc, Pierre Mendès-France qui,
insulté par Le Pen, se leva et improvisa un discours passionné.
Il y eut plusieurs chahuts et un pugilat.
Gaillard prit enfin la parole
et les socialistes demandèrent une suspension de séance.


- les socialistes font une crise de conscience : c'est bien le moment.
   La simple loyauté exige d'eux qu'ils soutiennent.
- C'est dur d'endosser une histoire à la fois idiote et criminelle.
   Plusieurs ministres veulent démissionner.
   Et Lacoste qui leur a dit que Sakhiet, ce n'était qu'une " bavure "


février 1958

récemment j'y suis retournée, c'était la Vème République.

Maintenant c'est à Matignon que les journalistes se réunissent
pour récolter leurs tuyaux.
Entérinez, entérinons, nous n'avons plus qu'à conjuguer ce verbe à tous les temps.
Autrefois, on pouvait s'entendre avec des directeurs de cabinet,
des attachés... 
Mais aujourd'hui, pourquoi seraient-ils tentés de faire plaisir
aux châtrés, aux impuissants que nous sommes devenus ?

Nous regrettons qu'un homme si remarquable (de Gaulle)
soit uniquement entouré de soliveaux, de technocrates,
qui le coupent des gens qui, comme nous, 
sont constamment en contact avec les électeurs.

Nous regrettons aussi qu'il méprise à ce point les institutions démocratiques
car le système parlementaire, oui je sais tout ce qu'on en a dit,
mais tout de même, il servait fidèlement les intérêts des électeurs.


(les hommes politiques ne s'intéressent qu'à leurs électeurs
  c'est à dire plus qu'à peine un tiers de la population)


Nous sommes pondérés, nous réprouvons la bande des complots.
- la bande des complots ?
Oui, tout ce groupe dont beaucoup de membres sont compatriotes de Tino Rossi,
qui passent leur temps à organiser une sédition par ci,
une levée de barricades par là. Tout le monde les connait,
on sait même les dates des futures émeutes,
mais nous ne nous mêlons pas à eux.


une enquête de la revue Réalités visait à établir la hiérarchie
des professions dans l'esprit du public.
les députés étaient carrément placés dans les professions
les moins prestigieuses moralement,
côte à côte avec les guérisseurs et les chiromanciennes.



Muriel chez les Auvergnats (à Cheylade)



la réputation des Auvergnats était inquiétante
Ils sont durs, sales, méfiants, m’expliquait-on à Paris
Ce sont des maquignons, des avares retors.
Ils ne vous parleront même pas.
Ils sont superstitieux et rapiats.
C’est un pays sinistre.

(les Parisiens parlent si bien d’eux
   quand ils entendent parler des autres)


On était à l’époque de la fenaison
et comme l’avait dit le curé
ce n’était pas le moment de déranger les paysans
Cependant le sens de l’hospitalité est si fort chez les Auvergnats
que le fermier et la fermière abandonnèrent immédiatement leurs travaux
et m’accueillirent avec joie


Pour votre première prise de contact
vous tombiez bien avec les Barbounèche
car ils sont typiques
vous allez retrouver partout cette hospitalité à l’antique
et cette gentillesse qui cache une grande dureté


les parents poussent l’éducation de leurs enfants
c’est d’ailleurs pourquoi la vallée se dépeuple
il est exact qu’ici l’autorité du père est indiscutée
si bien qu’au fond
ici un homme ne devient majeur que vers cinquante ans ?


- est-ce qu’il y a de jolies coutumes de fiançailles et de mariages ?
- oh oui   pendant la nuit de noce
   On leur apporte un pot de chambre
    à l’intérieur on a barbouillé de la crème au chocolat
    pour que ça ait l’air de... enfin vous voyez
    Et puis on met du vin blanc et des blancs d’oeuf battus
    C’est pas bien appétissant mais faut qu’ils en mangent
    Et puis on rigole avec le marié
    Des fois la mariée   elle est un peu honteuse
    mais dès qu’on est parti   elle se remet bien à l’aise

- C’est un pot de chambre neuf qu’on prend !



Muriel chez Ionesco

il était devenu de bon ton d'admirer Ionesco

Cocteau (un Cocktail) pressait Ionesco dans ses bras,
chacun voulait lui dire combien on l'avait toujours aimé et admiré.
Éberlué et ému, Ionesco accueillait ces accolades d'un air un peu étonné.
En effet, chaque critique, chaque femme du monde, lui disait : 
Ah ! cher Eugène, je me souviens si bien de vos débuts,
il y a dix ans, aux Noctambules. 
J'ai été je peux vous le dire aujourd'hui, un (ou une) de ceux
qui vous ont apprécié dès ce soir là.
Mais, en fait, il y a dix ans, il n'y avait presque personne le soir
de la générale aux Noctambules.
Et il y a deux ans encore, à propos de Ionesco,
on pouvait lire les appréciations les plus contradictoires : 

Un immense ennui... lugubre...
Quelle saison, Seigneur, quelle saison !    J.-J Gautier - le Figaro

Grand et nécessaire comme la cannonade de Valmy    Die Zeit

Il fait perdre des spectateurs au théâtre    J.-B Jeener - le Figaro

Pour ce qui est de la connaissance de l'homme...
M. Ionesco est strictement égal à zéro...   Robert Kemp - le Monde


Une scène vide, des chaises vides, l'orchestre est vide,
le balcon est vide, la salle est vide : on joue pour rien
ça a de la gueule !                                                       Arthur Adamov


doux, malicieux, plein de bonhomie,
aimant bien boire, et bavarder, une sorte de charmant naïf.
Un naïf plein d'humour qui lance de temps à autre 
des plaisanteries insolites, irresistiblement drôles.
Mais dans ces plaisanteries, c'est généralement  lui même
qu'il s'applique à prendre pour cible.
Ce sont ses malheurs, ses insuccès dont il aime rire.
D'autre part, ce doux est capable de colères subites, terrifiantes.
Ce timide est volontaire et indépendant. Ce bon vivant devient
chaque nuit un insomniaque qui arpente son appartement en fumant.
Cet ingénu crée surtout des monstres. 
Il ne demanderait pas mieux que d'être naïf.

En fait, chacune de ses pièces est en quelque sorte un hymne 
à la naïveté, à la joie de vivre, à la fraicheur, à l'émerveillement.
Mais un hymne à rebours.

Car ce qu'il cherche d'abord dans ses pièces, 
c'est à exprimer ses préoccupations. Il éprouve avec force 
cette angoisse que tout le monde connait 
et surmonte plus ou moins rapidement : 
le sentiment de vivre dans un monde incompréhensible, irréel,
de ne pas être dans le coup et de mener une existence
qui n'aboutit à rien et semble n'avoir aucune espèce de signification.

Mais l'homme qui est noyé dans l'absurde,
qui fait rire et n'est même plus un héros,
est un être beaucoup plus malheureux
puisque sa souffrance n'a pas de cause cohérente.



Muriel chez les jeunes du XVIème Arr.


Vous croyez que nous sommes tous infects, gâtés, pourris d'argent,
organisés en bandes, dépravés.
Et ce n'est pas vrai. 
Ici, nous sommes tous des fils de bourgeois,
et c'est vrai que nous sommes nous-mêmes assez bourgeois.
Mais, tenez en ce qui concerne l'argent,
on nous donne entre cinq cents et deux mille francs par semaine,
avec lequels on paie notre métro tous les jours.
Et, moralement, ce n'est pas vrai qu'on est infect.


de quatorze à vingt ans la jeune fille vit dans un univers

sur lequel éducation et milieu n'ont guère de prise.
Cependant, elle a besoin d'admirer quelque chose, quelqu'un
digne de son personnage.
Elle est l'héroïne solitaire d'un roman, plutôt sombre d'ailleurs, tourmenté
et ce n'est que vers vingt ans que, comme un parachutiste qui va atterrir,
elle descend de ses nuageset qu'alors
ses parents peuvent espérer retrouver une fille, un être
qui les aime et s'intéresse à eux.











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