la Dame aux Camélias - Frank Castorf - Théâtre National de l'Odéon


Vladislav Galard
 

lors de ses récitals de piano
il arrivait à Friedrich Gulda de commencer par une bonne heure d'accords dissonants
qui finissaient par faire fuir une bonne moitié du public
Aux méritants qui étaient restés
le soliste accordait enfin le programme prévu
Et si Frank Castorf s'ingéniait à labourer la tête des spectateurs
d'engrais aussi indigestes que nauséabonds
pour ne faire mieux ressortir que des moments de théâtre
qui apparaitraient enfin comme des éclats ...

Au moment des applaudissements
on aurait vu l'Acteur fier comme un bar-tabac de sa prestation
on aurait vu le comédien gambader sur scène
simplement content de participer à ce joli foutoir
on aurait peu applaudi
la salle aurait hésité de continuer à applaudir jusqu'à 3 malheureux rappels
à cinq minutes du début de la pièce
des personnes n'auraient pas trouvé preneur pour les places qu'elles avaient à revendre

Au début c'est beau comme du Claudel un soir de pluie
ils éructent    cherchent à vomir
au 1er étage 3 femmes se sont enfermées dans une cage à poules
avec de vraies poules
des gémissements lascifs se font entendre pendant disons une bonne vingtaine de minutes
tandis qu'au niveau 0      Jean-Damien Barbin DÉCLAME
dans la grande tradition du Théâtre National Français
un rien gueulard
comme on apprend si bien à le faire au Conservatoire
Vladislav Galard est quant à lui   à la fraîche    les couilles à l'air
mais une tenue correcte exigée au dessus de la taille
Le décor ressemble à s'y méprendre à celui du Paradis sur terre
cet automne au théâtre Edouard VII
un côté salon à jardin       un côté cuisine à cour
le 1er étage et sa cage à poules qui continuent de glousser
le tout aurait un côté Affreux Sales et Méchants
Au bout de 30 minutes deux spectatrices en ont visiblement déjà assez vu
Et s'en vont
ma sensibilité m'a déjà envoyé un signal
Barre-toi ! Barre-toi !
je suis d'humeur taquine
je décide de rester et tromper l'ennui en prenant des notes
le temps passera plus vite
je suis curieux du comment on fabrique un spectacle
que l'on serait déjà tenté de qualifier comme assez joliment calamiteux
Connaissant un peu Castorf je me dis aussi que tout ne saurait être complètement mauvais dans ces 3h45
Il ne réussirait pas ce tour de force 
Et puis j'avais une attente de ce Castorf
La Dame aux Camélias croisée avec l'Histoire de l'oeil de Georges Bataille
si si l'Histoire de l'oeil
on se serait demander ce que cela pourrait bien venir faire sur une scène de théâtre   ça
Qui plus est un Théâtre National

Autant ne pas chercher à reconstituer l'Histoire d'Alexandre Dumas fils
Castorf nous a concocté ce qui apparaît comme une sorte de gloubiboulga textuel
auquel est aussi conviée la Mission de Heiner Müller
Au deuxième rang j'endure les plaintes gueulardes de Jean-Damien Barbin
Un autre spectateur s'en va au son de
« pisse-moi dessus, pisse-moi dans l'cul »
que vient de commander une comédienne
tiens    du Georges Bataille
sera-ce tout cela que Castorf aura retenu ?
Tout craché dans l'oeil ?

Echappé comme du naufrage
Vladislav Galard construit un personnage attachant
on l'entend dans des confidences qu'il ne semble adresser qu'à lui-même
avec des instants où il reviendrait à la réalité
Le décor bascule
un globe trône tout en haut de l'échafaudage
ANUS MUNDI     GLOBAL NETWORK
plus tard  on pourra lire   ANUS 0
un grand panneau publicitaire style Jean-Claude Decaux
montre Kadhafi et Berlusconi bras dessus dessous
brothers in arms
avec ce slogan NIAGRA FORZA FOREVER
un homme masqué de cuir à cornes    torse nu   cravate    pantalon de cuir
parle en anglais et semble sorti de ce décor aux couleurs roses flashy
on hésite à y voir une maison contemporaine un rien bobo ou alors un peep show hollandais ?
pourquoi pas    ça doit bien ressembler à ça
un spectateur s'en va
un autre spectacteur s'exclame dans la salle
- combien avez-vous payé pour voir une merde pareille ?
tiens le spectacle est dans la salle pour une fois

Vladislav Galard campe bien quelqu'un qui est sorti des rails
il se remet nu
mais se cache le sexe et les fesses pour adresser une harangue au public
dommage    la portée en est moins grande
Ça aurait eu plus de gueule de venir agresser aussi le public avec tous ses attributs
c'est que la mise en scène reste bourgeoise
On veut bien s'encanailler
mais ces Dames garderont leur culotte
même pour prendre une douche
On dira qu'on fait les choses pour de faux
On croira avoir vu Jeanne Balibar écarter les jambes
et laisser une main vagabonder ostensiblement à l'endroit de la chose
Que je vous rassure
l'Origine reste cachée derrière un rideau rouge    feutrée
Nous sommes dans le VIème
la séquence ne suggérera jamais qu'une pub porno chic du genre Gucci
et probablement rien d'autre
bon    je sais pas vous ?
mais moi je vais m'acheter des langues de chat
ce midi

Vladislav Galard revient déguisé en femme    
et ressemble à Anthony Perkins se prenant pour sa mère    un grand couteau à la main
une comédienne est sous la douche
Vladislav tourne autour comme dans un dessin animé Tex Avery
le regard exorbité
décidément c'est bien lui qu'il faut sauver du naufrage
on pense bien sûr à Psychose
il ne s'attaque rageusement qu'au rideau de douche

Jean-Damien Barbin chante et dansouille un peu connement
dans le sens que lui donnerait Philippe Minyana
il chante les Feuilles mortes
Jeanne Balibar s'en fout à moitié
et fait mine de ne pas se souvenir des paroles
de cette vieille chanson à la con

Vladislav Galard revient et burlesquement se cogne contre une paroi de plexiglas
s'assoit sur une chaise qui s'écroule
se recogne contre une vitre
qu'il soulève et passe en travers pour s'asseoir sur un trône
celui qui sert aux selles
et dans un moment d'extase    se libère violemment
c'est un peu potache mais c'est toujours drôle
Le panneau publicitaire a pivoté ses lamelles
et laisse maintenant apparaître une photo de Hitler avec ce slogan
EUROPE SANS FRONTIERE
une poule s'est invitée sur le plateau
une comédienne lui chantera un air d'opéra
Entr'acte

la salle se dégarnit d'un bon tiers de ses spectateurs 
la 2ème partie sera la plus longue
promise pour durer 2 heures

Puisque nous sommes dans un Théâtre
Castorf nous propose assez longuement de regarder un écran vidéo
sur lequel sont projetés les conciliabules des comédiens
tous entassés dans une petite pièce hors de visibilité de la salle
le tout au son d'une gymnopédie un peu cheap vaguement dans l'air du temps
Les voix ne sont pas synchros
est-ce un effet voulu de soap sud américain
les comédiens redeviennent visibles
c e l a  f a i t   d e u x   h e u r e s   et  de mi   q  u  e   l    a    p    i    è   c   e    a   dé bu té
et une comédienne se propose à nous faire enfin entendre un beau monologue
tiré de la Dame aux Camélias

Vladislav Galard lui répond par une belle performance d'handicapé mental
eh oui Mesdames la virilité est en voie d'extinction
les prétendants ne sont plus ce qu'ils étaient
Jeanne Balibar s'exclame
« oh putain j'en ai marre de cette mise en scène à la con »
la salle réagit par un rire d'acquiescement
ah !  on comprend que le metteur en scène n'est pas complètement bourré
et se délecte de se mettre en abîme
Une comédienne chante Roxane (the Police) en mode lyrique
accompagnée à la guitare électrique
Et puis ça redevient un peu le bordel
Jean-Damien Barbant* revient pour un long monologue gueulard vite barbin
je rêve d'un spectacle où l'on aurait fini par baillonner l'Acteur
et le laisser    suspendu à un chêne
On aurait fini par ne rien retenir de très intéressant s'agissant du texte
On aurait entendu tout d'un coup parler de Bonaparte
(ah oui la Mission)
Ils auraient occasionnellement parlé en allemand    en russe aussi
Ils seraient revenus à des bouts de Dame aux Camélias
Il se serait retourné dans sa tombe
On aurait entendu dans la masse informe
« il fallait m'aimer un peu moins
Me comprendre un peu mieux »
On aurait vu une femme en burqa chanter une chanson de variétés
On aurait vu Vladislav laver les pieds de Jeanne Balibar
- mon dieu que tout ça finit par paraître un peu vain -
On aurait reconnu des images d'Eisenstein (Que Viva Mexico)
On aurait vu des images de la révolution roumaine et entendu parler de Ceaucescu
ON ENTEND MICHEL SARDOU CHANTER « Ne m'appelez plus jamais France !
Ce ne sont que quelques unes des références qui ne m'ont jamais que frappé
l'omelette en regorge de bien d'autres
Le panneau publicitaire affiche maintenant une femme nue allongée
avec le slogan LE REVE D'UNE VIE    C'EST UNE VIE DANS NOS MEUBLES
mais pourquoi décidément les affiches enchantées ne nous toucheraient-elles plus ?
le spectacle se terminerait par la reprise d'une chanson de Yma Sumac
Va comprendre Charles ...
des soupirs de soulagement se font entendre dans la salle

la Machine Castorf sait continuer à moudre du vent
On finirait par comprendre que Castorf prend un malin plaisir à torpiller le théâtre
Ces pauvres comédiens ne seraient-ils pas dérisoires
face aux événements télévisés     au génie du Cinéma
mais en ce moment au théâtre des Quartiers d'Ivry
on peut voir une jeune comédienne prendre de vraies risques sur scène
Castorf ne cite pas Internet (trop dépassé sans doute)
on devinerait qu'il s'émeut des Révolutions
mais y a t-il encore des révolutions à venir chez les Beauxbos
quand le Rêve d'Une Vie c'est Une Vie dans Nos Meubles
Le spectacle aura su affoler des lecteurs du Figaro
la traversée laisse quand même des traces bigrement intéressantes
Castorf ne serait-il finalement pas en train de donner une leçon de théâtre
mais aurait-on le sadisme de revenir voir ça une seconde fois
et pourtant
si le coeur vous en dit


je me souviens de ma Dame aux Camélias
elle était une institutrice dans sa dernière année avant la retraite
du haut de nos dix ans nous avions su la deviner être restée vieille fille comme on dit
les faits nous l'auraient confirmé
elle habitait seule avec sa Maman
au lendemain du 10 mai 1981
une élève lui avait présenté une rose rouge
elle l'avait quand même acceptée
nous avions compris alors pour qui elle avait voté
profitant de la pause déjeuner
j'avais coupé de l'arbuste du jardin deux camélias
et les lui avais apportés




* pour la petite histoire
   j'avais assisté en juin 2011 à une présentation
   mise en scène par Jean-Damien Barbin
   au CNSAD  
   et regretté de ne pas avoir pu assister
   aux deux présentations suivantes
   Georges Ribemont Dessaigne est une figure singulière
   on peut voir régulièrement au Conservatoire des spectacles rares
   Vladislav Galard en est issu