lettre à un comédien disparu - ces petits riens

au début il y avait bien un rêve


celui de s'extraire de cette vie morose
d'une médiocrité ambiante
il y avait un désir
celui d'être comédien
et l'espace d'un moment vivre une autre vie
et l'espace d'un moment ressentir des sensations
et l'espace d'un moment vivre des sentiments
que l'on ne ressent plus dans la vie de tous les jours
et ensuite humer encore ces moments vécus
finir par ressentir le manque
et laisser revenir l'urgence de jouer à nouveau
non
ce n'était pas au début
c'était venu sur le tard cette envie
et il n'aurait pas fait d'école de théâtre non plus
il n'aurait pas été retenu au concours d'entrée
il n'avait pas assez de présence peut-être
mais cette envie de comédien l'emportait
malgré cet autre métier qu'il occupait à mi temps pour gagner son argent
il y avait un désir de spectacle
il irait piocher ici ou là chez un auteur oublié
un auteur du temps de la Commune
chez qui il reconnaîtrait cette envie d'en découdre avec la société
mais la pièce aurait alors des résurgences hargneuses
les démarches auprès des zinzins n'auraient rien donné
alors il y aurait eu une location de salle improbable
qui n'attire pourtant pas spécialement les éventuels programmateurs
il y aurait eu la nécessité d'y engloutir ses économies du moment
il y aurait eu l'envie de voir son nom en gros sur l'affiche aussi
le spectacle commencerait avec 1 heure de retard
les quelques spectateurs seraient restés
les amis auraient attendus   attendus   ils étaient   bien   venus
le spectacle finirait par commencer mais deviendrait très vite une souffrance
et le temps s'appesantirait
on serait pris d'une toux incontrôlable
les comédiens continueraient à jouer
et puis la fin commencerait bien par apparaître
les applaudissements se feraient polis
mais on verrait le comédien transfiguré
ne viendrait-il pas de jouer le spectacle de sa vie
il aurait compté jusqu'à trois rappels
il aurait approché de son heure de gloire
une figu qu'il aurait partagée avec Jean-Pierre Léaud
il se serait gausser de voir le Jean-Pierre Léaud arriver tout penaud et dire
- Bonjour, je suis Jean-Pierre Léaud
lui qui bien sûr l'avait reconnu
mais il aurait rêvé de petits riens
et puis vomir les gros Trucs
dont il avait fini par comprendre qu'il ne serait jamais
il aurait continuer à rêver de petits riens
mais il y aurait quand même eu ce besoin
de reconnaissance
vouloir se prendre pour quelqu'un d'important
et pourtant il avait un goût pour ce qu'il reconnaissait comme authentique
il aimait les seconds rôles
jean bouise
et puis cet autre comédien à lunettes que l'on devine
aux côtés de Sami Frey dans César et Rosalie
mais que l'on ne voit jamais s'exprimer que par quelques onomatopées